Le pouvoir de nommer

Erreur d’appréciation

Lors d’un de mes cours sur l’égalité femmes  / hommes, j’ai diffusé la petite vidéo de Marine Spaak, La mécanique sexiste à mes étudiant.e.s. Vidéo qui m’a toujours paru efficace, simple et qui surtout n’a jamais amené des réactions particulières, si ce n’est quelques sourires.

Or cette fois-ci, à peine la vidéo de 3 min terminée, un étudiant intervient et me lance « je ne comprends pourquoi vous nous montrez ça! » A son ton, ce n’est pas une question. C’est-à-dire qu’il ne souhaite pas que je lui explique – ou que je répète –  pourquoi cette vidéo me paraît intéressante. Il me dit – et donc dit à l’ensemble du groupe – que cette vidéo est absurde et que je n’aurais pas dû la montrer.  J’essaye tout de même de comprendre ce qui lui pose problème. Ce n’est pas très clair – il le dit lui-même que ce n’est pas évident d’avoir un raisonnement logique. Ce que je retiens c’est qu’il n’a particulièrement pas apprécié que …. non décidément je ne comprends pas ce qu’il n’a pas supporté dans cette vidéo.

Qu’est-ce que quoi?

Malgré cette invective, je poursuis la séance… qui se termine. Pour autant, je me passe en boucle cet « incident ». Pourquoi a -t-il réagi comme cela? Est-ce moi qui ai mal expliqué, mal répondu? Pourquoi est-il si agressif? Est-ce que cette vidéo n’a vraiment rien à voir avec le cours…?

Et puis je le revois, lui physiquement. Cet étudiant qui a précisément tous les attributs de la virilité blanche et occidentale. Et alors, je pense à Christine Delphy et à son recueil « Classer, dominer. Qui sont les Autres? ». Et je pressens que je vais trouver un début d’explication en relisant ce petit livre, notamment la première partie « les Uns derrière les Autres ».

Les Uns et les Autres

« Classer, dominer » aborde le fait qu’une partie de la population a le pouvoir de nommer « les autres », ou plus exactement de les nommer comme « autres ».

L’Autre, ici, sont « les femmes, les non-Blanc.he.s, les homosexuel.le.s ». L’Autre sont les personnes (construites et pensées comme) différentes du « Nous », de l' »Un ».

Ce qu’il faut retenir –  enfin ce que je retiens plutôt –  c’est que les dominant.e.s ont le pouvoir de nommer.

D’ailleurs s’illes sont dominant.e.s c’est  :

  • parce qu’illes ont pris le pouvoir de nommer les autres
  • qu’illes ne se nomment jamais eux/elles-mêmes puisqu’illes se pensent comme l’UNiversel
  • qu’illes ne supportent pas que les autres les nomment (donc les spécifient) ou que les autres se nomment eux/elles-mêmes.

Il existe un autre aspect (…) qui est commun à ces situations où un groupe est arbitrairement mis à part, (…) exploité et maltraité physiquement et psychologiquement sur le plan matériel. Cet aspect c’est l’inquiétude et l’hostilité des groupes dominants quand les autres prennent conscience de cette situation et se rebellent publiquement. (…) Cependant dès lors que des femmes, ou des homosexuels, ou des « issus de l’immigration » (les non-Blancs) décident de se réunir pour porter leurs revendications d’égalité sur la place publique, cette audace fait scandale. Les regroupements d’opprimés, contrairement à ceux de dominants notoires, sont censés faire courir un risque majeur à la république. On craint le « communautarisme » dont personne ne donne jamais aucune définition (…).

Grille de lecture

Bref, je me dis que peut-être ce qu’il lui a été insupportable – et qu’il n’a précisément pas réussi à identifier – c’est le pouvoir des Autres – ici Marine Spaak – et moi d’ailleurs aussi peut-être – de décrire les mécanismes de la domination. Que des personnes considérées comme l’Autre s’emparent de catégories d’analyses, s’approprient les mots et se mettent à nommer… Et donc « usurpent les privilèges des Uns ». Dont il fait partie.
Peut-être aussi que c’est violent le simple fait de toucher du doigt ce qui se joue dans le fait d’être spécifié.e, que c’est violent de voir la logique simple et redoutable de la « mécanique sexiste » (qui est la reprise de la « mécanique raciste »…). Peut-être, enfin, que c’est difficilement supportable de comprendre que si certains groupes de personnes sont discriminés ou dominés c’est bien parce que d’autres groupes de personnes ont des privilèges ou sont dominants.

Annexe

La petite vidéo en question… :

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1 réponse

  1. Mathieu dit :

    Merci pour cette vidéo,
    et la clarté de ton analyse

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