« Ca chatouille pas trop les hormones? » … « ??? »

« Tu as une peau superbe ! c’est les hormones de la grossesse, ça ! » Oui, enfin, non. Toute personne qui arrêterait de consommer de l’alcool, qui arrêterait de fumer, qui se mettrait à manger encore plus sainement, qui ferait du sport, embellirait sa peau. Enceinte ou pas enceinte, homme ou femme.

« Mais là, tu es pleine d’énergie, c’est les hormones » Toute personne qui arrêterait de consommer de l’alcool, qui arrêterait de fumer, qui se mettrait à manger encore plus sainement, qui ferait du sport, serait pleine d’énergie.

« Ouh tu es irritée, c’est les hormones » Oui, enfin, toute personne qui aurait précisément arrêté de boire de l’alcool et de fumer, qui ne pourrait plus avoir l’effet placebo de penser aux anxiolytiques en cas de malaise pourrait être irritée.

« Ouh tu es irritée c’est les hormones » Oui, enfin, toute personne, et a fortirori une femme au vu de l’importance dans la construction sociale du rapport aux corps, qui se verrait, à travers son miroir et celui des autres, progressivement changer physiquement et faire du gras, alors même que sa vie devient de plus en plus hygiéniste serait quelque peu irritée

« Ouh, tu es joyeuse, c’est les hormones » Oui, enfin, pardon d’être joyeuse. Je n’ai jamais été joyeuse avant ?

« Lors du 9ème mois de grossesse, les femmes enceintes peuvent vous paraître dans un état second avec des sautes d’humeur, et cela va se poursuivre, en pire, après l’accouchement, pour revenir à la normale dans les mois qui vont suivre, c’est normal, c’est les hormones. »

Alors… est-ce qu’il est vraiment trop difficile d’imaginer qu’au 9ème mois de grossesse, les représentations, assez terribles de l’accouchement puissent perturber un petit peu les femmes enceintes, que la fatigue qui s’est installée depuis 9 mois, parce qu’en vrai, les femmes enceintes ne grossissent pas d’hormones, hein, mais d’un enfant, en moyenne entre 3 et 4kg, qui donc, forcément pèse franchement sur leur sommeil et donc leur humeur, qu’elles savent bien qu’elles vont devoir produire un effort d’une (bonne) dizaine d’heures… mais elles ne savent pas quand exactement, qu’elles vont potentiellement vivre une épisiotomie, que pour 4 femmes sur cinq, elles ne vont pas pouvoir se retenir de déféquer alors qu’elles sont « en plein travail », qu’elles ne savent pas quel.le professionnel.le, quels humains, vont les accompagner dans ce moment particulièrement intime et exceptionnel – car si l’accouchement est banal pour les professionnel.le.s, il reste exceptionnel dans la vie d’une femme – qu’elles savent bien qu’après elles sont épuisées, pleine de sang, maman, entourées, à l’hôpital et qu’elles ne s’en remettront que …. Plus tard.

Alors, oui, objectivement, toute personne qui s’apprêterait à vivre cette expérience dans l’incertitude des conditions exactes et, pour des raisons proches mais distinctes, toute personne qui a vécu cette expérience est sujette à des « sautes d’humeur ».

Ce qui est pratique avec les hormones c’est qu’elles expliquent tout… et rien. Donc, elles n’expliquent rien. Elles expliquent la fatigue ou le regain d’énergie, les maux de tête ou la sérénité, la libido ou son absence, l’irritabilité ou la joie, la sensibilité, les envies de fraise ou de chocolat, les rêves étranges… ou pas. Car le maître mot, et là, c’est fort ! : c’est que « ça dépend tellement de chaque femme ».

Et franchement, que tout le monde fasse le point sur soi : tout le monde dort parfois mal, parfois pas, a mal au crâne parfois oui, parfois sans raison, parfois non, a plus ou moins envie de sexualité, se sent facilement irritable, pleure et rit devant une bonne comédie française, mangerait bien des fraises de Plougastel ou non, tiens, un bon moelleux au chocolat, a fait un sacré rêve cette nuit, « je te raconte… ? » … « Non, c’est bon ». En fait, la plupart des « maux » que ressentent les femmes enceintes font partie des choses que l’on ressent dans la vie normale. Sauf qu’on met le focus dessus, on ne voit plus que ça et ces « choses de la vie » deviennent des symptômes de l’état de grossesse. La personne enceinte et surtout l’entourage crée un lien de cause à effet. Et, parfois, ça énerve 

Globalement, finalement, la représentation de l’instabilité émotionnelle des femmes enceinte n’est que l’exemplification de la représentation de l’instabilité émotionnelles des femmes. Dans les représentations, grossières mais encore bien présentes, les femmes sont sujettes à leurs émotions, à leurs hormones et la marche est toute trouvée pour aller vers le fait que les femmes sont donc moins rationnelles, moins objectives, mues par une force supérieure : les hormones. Alors, précisons toute fois que dans ces représentations, les femmes sont moins rationnelles que les hommes et les femmes enceintes sont moins rationnelles que les femmes pas enceintes. Les femmes enceintes sont presque renvoyées à un état enfantin où il s’agit de leur parler avec bienveillance et gentiment pour ne pas qu’elles « sautent d’humeur ». Comme si elles pouvaient « dérayer » à la moindre contrariété.

Les femmes enceintes peuvent donc faire ce qu’elles veulent, dire ce qu’elles veulent, penser ce qu’elles veulent, il est considéré qu’elles sont de toutes façons mues par leurs hormones et n’ont plus vraiment de rationalité. Comme si tout ce qu’elles faisaient était joliment fantaisie, joliment caprice, joliment grain de folie. Par la même occasion, tant qu’à être prise pour un être irrationnel et mu uniquement par ses émotions et ses envies sur l’instant « t » autant en profiter. Réclamer des fraises, lâcher enfin prise devant ce film, être désagréable avec son entourage, hésiter à propos de tout et de n’importe quoi, imposer ses désirs (juste pour voir pour une fois), dire non à un rapport sexuel, réclamer des caresses, se faire masser, pouvoir dire qu’on a mal au dos et à la tête (puisqu’on nous demande 15 fois dans la journée comment on se sent), dépenser son argent. Voilà, la boucle est bouclée. Les femmes enceintes ont donc bien des sautes d’humeur et de drôles de lubies…. Et cela est dû à leurs hormones en ébullition.

Ca me fait penser : peut-être aussi que le fait qu’il est demandé 15 fois dans la journée aux femmes enceintes comment elles se sentent, laisse, de fait, apparaître, des changements au fil de la journée. Toute personne connaît des fluctuations au cours de la journée. Mais, une fois encore, les femmes (enceintes) font l’objet d’une attention particulière quant à leur comportement et à leurs émotions et les femmes (qui plus est, celles enceintes) apprennent à faire attention à tous ces maux, à se focaliser sur leur corps et à en tirer des causalités.

Par exemple, les bouffées de chaleur. Tout le monde, homme et femme, a déjà eu des coups de chaud ou des suées nocturnes, mais tout le monde n’apprend pas à les décrire à son médecin et à les lier à son taux supposé d’hormones au vu de son âge et de son cycle. Un homme d’une trentaine d’année qui a un coup de chaud durant une réunion… bah il enlève son pull (ou ouvre la fenêtre sans plus d’égard pour ses collègues). Une femme d’une trentaine d’année qui a un coup de chaud durant une réunion… se sent gênée (donc a encore plus chaud et n’arrive plus à se concentrer donc a encore plus chaud et n’arrive plus…) et se met à calculer la date de ses dernières règles donc pense à ses hormones, à son corps, à sa période d’ovulation. Une homme d’une cinquantaine d’année qui a un coup de chaud en réunion …. enlève son pull (ou ouvre la fenêtre sans plus d’égard pour ses collègues). Une femme d’une cinquantaine d’année qui a un coup de chaud en réunion … se sent extrêmement gênée (donc a encore plus chaud et n’arrive plus à se concentrer donc a encore plus chaud et n’arrive plus…) et associe cette « bouffée de chaleur » à la ménopause, donc aux hormones, à son corps qui vieillit.

Il va sans dire que je n’enlève en rien le ressenti des femmes et des hommes. Je souhaite simplement insister sur l’apprentissage genré des manifestations corporelles et physiologiques.

Concernant la grossesse, je ne nie bien sûr pas la prise de poids et ses effets sur la valorisation de soi, la fatigue, le chamboulement physiologique et identitaire nécessaire pour le bon développement du bébé et accueillir au mieux l’enfant une fois qu’il sera à l’air libre, l’exceptionnalité, dans une vie, de sentir un petit être bouger dans son utérus, de voir son ventre en mouvement, les angoisses liées au fait de devenir mère et de l’avoir choisi en toute lucidité. Mais je dénonce la disqualification de la rationalité des femmes enceintes (ou non) qui se joue dans le processus d’hormonisation des pensées, attitudes, comportements. Processus qui n’est autre finalement que le processus de naturalisation, d’essentialisation du corps des femmes et, par ricochet, des femmes elles-mêmes.

Pour aller beaucoup plus loin sur des sujets proches, deux ouvrages que j’ai lus et appréciés… :

Chollet Mona Sorcières

Charlap Cécile La fabrique de la ménopause

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